Depuis, 2016, une (r)évolution numérique est portée sous l’impulsion de Claudia Mollese, cinéaste et anthropologue venue des Pouilles (Italie).
Désormais ancré dans la durée au cœur du quartier de la Joliette autour du Polygone étoilé, accompagnant au fil des années les jeunes habitants de l’immeuble Massabo, c’est ce dernier travail qui fait l’objet de cet article.
De la pellicule au numérique : un geste continué ?
Claudia, originaire des Pouilles (Italie), après une formation en anthropologie et la réalisation d’un film très remarqué en Italie (« Amara ») a conduit les ateliers cinématographiques Film flamme depuis 2016. Elle revient ici sur l’expérience historique de nos ateliers réunis sous le titre « la subtile mémoire des humains du rivage ».
« Les auteurs et les habitants qui ont réalisé ces films ont participé de la construction d’une œuvre commune sur la ville de Marseille, une fresque lumineuse de liberté, comme si la ville se filmait elle-même… ils ont laissé trace de leur mémoire et de leur vécu, sur un format noble, utilisé par les cinéastes les plus confirmés. Une histoire autre s’est inscrite dans le temps. Cela m’a paru un geste capital : partager de la pellicule, offrir un support noble pour que chacun s’inscrive selon son désir et son imaginaire dans l’histoire d’une ville. Et le partage va dans les deux sens : les auteurs rencontrent et réinventent avec les habitants un territoire géographique et cinématographique.
Quand j’ai commencé les ateliers, j’avais très envie de toucher à la pellicule, de prolonger cette œuvre commune. La volonté des enfants de tourner en numérique m’a questionnée. Imposer un support ou expérimenter un nouveau chemin ? Le point fort à respecter pour moi était celui de suivre les désirs de ces jeunes auteurs.
Une caméra numérique venait d’être achetée au Polygone étoilé, les ateliers étaient une occasion d’apprendre à s’en servir. Travailler en numérique nous a donc permis de tourner plus longtemps et d’avoir ainsi une relation au temps de l’atelier différente, nous avons plongé dans un travail de fiction, un travail collectif, en faisant de l’erreur et de l’improvisation le chemin à suivre. Ce temps m’a offert la possibilité aussi de rencontrer ces jeunes habitants. Leur façon de s’auto-représenter, la fiction comme point de sortie et d’entrée du réel m’ont ouverte à d’importantes réflexions pour mon propre travail.
Pendant cette année 2017, nous avons été témoins autant que nos voisins de la montée de la dégradation et de la violence dans le quartier. Les jeunes adolescentes ont choisi de mettre en scène un conte d’horreur où l’humour défie le réel. Sous la forme d’une fiction grotesque, ces enfants ont mis en scène leur imaginaire : le politique, la ville, la dégradation, l’amitié, les jeux, tout se mêle dans leurs cris, qui retentissent dans le quartier. Ce fut notre premier film de fiction, Massaboom ! Ainsi, ensemble, nous avons cassé la forme des ateliers cinématographiques Film flamme… Etre leur assistante m’a révélé la violence qu’on peut, en tant qu’auteur, exercer, enfermant quelqu’un dans une image ou un territoire. Comment casser cette image, témoigner du monde ou le réinventer ? C’est par des relations de voisinage et de curiosité que les rencontres se sont transformées en films et ces films, selon mon expérience, peuvent être une occasion pour se transformer en tant qu’auteur…
Après Massaboom ! (30’), nous sommes partis avec sept enfants qui avaient participé au film précédent pour tourner un western en partenariat avec le Marathon du Film de Vence. L’édition 2018 du festival prenait pour thème Légendes d’automne, recueil de nouvelles de Jim Harrison. La Marche des trois frères est librement adapté d’une de ces nouvelles. Après plusieurs séances d’écriture et de préparation au Polygone étoilé, mais à l’instar des cinq autres équipes de tournage invitées, l’équipe de Massabo a fait les costumes et les décors, interprété et tourné, monté (en 5 jours) puis projeté cette fiction devant 170 spectateurs.
Un film très remarqué et apprécié jusque par le traducteur de Jim Harrison, Brice Mathieussent…
Il a été précisé ultérieurement au montage (par Nicola Bergamaschi), étalonné (par Isotta Trastevere), mixé (par Alexandre Rameaux), montré aux familles et projeté pendant la Semaine asymétrique : « Un univers surréaliste traverse le réel et l’amène dans un autre espace-temps, celui de la magie du cinéma, d’où part toute cette aventure, un film fabriqué à plusieurs, le second d’un processus de vie et d’atelier avec les mêmes protagonistes, les jeunes voisins du Polygone étoilé, un cinéma de quartier aux pieds de la résidence Massabo et de son parking, à la Joliette, Marseille ».
Aujourd’hui se pose à Film flamme la question de comment poursuivre ce travail, avec des financements toujours aussi faibles, dans un quartier de plus en plus dur. Qui aura envie de prendre part à cette aventure ? Et comment ? Est-ce qu’il y a encore dans ce bout de ville une place pour une caméra ? »